Comment est votre blanquette ?

Il y a toujours eu, dans la littérature française, une place pour la blanquette de veau. Chez Georges Simenon, c’était Madame Louise Maigret, la discrète épouse du commissaire, qui en assurait la promotion; cette cuisinière hors-pair, savait que rien ne requinquait autant son Jules qu’une blanquette mitonnée. Chez Frédéric Dard, le commissaire San Antonio se réfugiait au moindre coup de mou chez sa mère, Félicie, dans un pavillon à Saint-Cloud. Il savait qu’il y dégusterait la spécialité de sa mère, la blanquette de veau aux cornichons.

Plus récemment, au cinéma, la blanquette fit un retour remarqué dans le premier opus des OSS117 Le caire Nid d’espions.

“HUBERT : Comment est votre blanquette ?

LARMINA : Elle est bonne.

HUBERT : On me dit le plus grand bien de vos harengs pomme à l’huile.

LARMINA : Le cuisinier vous apportera un ramequin, vous vous ferez une idée.”

Le Caire, 1955

L’image de la blanquette est univoque, son histoire l’est moins. L’origine exacte du plat reste à déterminer : si l’imaginaire collectif la situe en Bourgogne ou en Picardie, pourvoyeurs historiques de plats ultra-caloriques, les historiens sont moins affirmatifs.

Dis, Vincent, tu fofottes un peu, non ?

La première trace écrite de la blanquette de veau se trouve dans un livre de cuisine de Vincent La Chapelle. Franc-maçon, écrivain culinaire, cuisinier de l’ambassadeur britannique à la Haye, du prince d’Orange, de Jean V du Portugal et de Madame de Pompadour, le sieur La Chapelle est passé à la postérité pour The Modern Cook, premier livre de cuisine de l’histoire. Traduit en français en 1735 sous le titre Le cuisinier moderne, cet ouvrage mentionne une recette d’entrée appelée “Veal Blanquets”. Constituée de tranches de rôti de veau, nappés de sauce blanche, c’est alors une manière distinguée d’accommoder des restes de viande rôtie. Au 18e siècle, les fours sont rares, le rôtissage de la viande est donc un privilège des classes sociales les plus aisées. Ainsi, les premières blanquettes de veau resteront cantonnées aux tables de l’aristocratie. La démocratisation viendra de Jules Gouffé, après le mitan du XIXe siècle. Son idée, révolutionnaire pour l’époque, est de faire mijoter des tendrons de veau crus dans un bouillon salé poivré, accompagné d’un bouquet garni, de petits légumes (carottes, poireaux, oignons grelots) et de champignons de Paris. A la fin de la cuisson, la viande est couverte de Béchamel. C’est à partir de ce choix de se baser sur de la viande crue, et de surcroît des bas morceaux, que la blanquette s’installe dans les habitudes de tous les foyers.

 

La nouvelle blanquette

Longtemps servie avec des pommes de terre grenaille, c’est dans l’après-guerre qu’elle trouve son accompagnement actuel : du riz blanc. En l’état où nous la mangeons, c’est donc une tradition qui a moins d’un siècle. A l’ancienne, disent-ils. Un débat subsiste sur les meilleurs morceaux de veau à mettre dans une blanquette; certains ne jurent que par le tendron, partie abdominale du veau située juste sous la poitrine, contenant du gras, du maigre et du cartilage. D’autres s’en tiennent à l’épaule, coupée en gros cubes, les mêmes morceaux que pour le sauté de veau. Tous, en revanche s’accordent sur la cuisson (à la cocotte, à feu très doux, pendant plusieurs heures) et l’accompagnement (un riz blanc, long, pas agglutiné). Il se trouve encore des barbares pour croire en la cuisson en cocotte-minute; il existe en enfer, un cercle qui leur est réservé. En février 2016, un sondage OpinionWay commandé par Le Printemps de l’Optimisme donnait la blanquette de veau et le boeuf bourguignon plats préférés des français ex-aequo à 31% des suffrages exprimés : suivaient la choucroute (symbole de la droite germanophile qui se réunit chez Jenny, place de la République le 1er mai, l’OAS, la région PACA, Bruno Gollnisch) et le cassoulet (symbole de la gauche à accent, les radicaux-socialistes, le Sud-Ouest, Jean-Michel Baylet). La preuve, s’il en fallait, que la blanquette de veau n’est pas seulement un plat français, la blanquette c’est l’unité nationale, la blanquette c’est la France. Et pas n’importe quelle France, la France éternelle, celle de la force tranquille, celle qui refuse la chienlit, celle de la terre qui, elle, ne ment pas.

 

Mais votre blanquette ?

Les blanquettes à Paris sont aussi nombreuses que les troquets dès que paraissent les premiers frimas de l’hiver. Chaque boui-boui, trop heureux de faire son beurre sans trop de risques, met à la carte pour tout l’hiver sa blanquette de veau, souvient qualifiée d’un “à l’ancienne” dont on sait maintenant qu’il ne vaut rien. Dans les arrière-cuisines, les commis tamouls commettent des blanquettes sans caractère sur riz mal cuit et collant, quand ils ne se sont pas contentés de réchauffer un mauvais brouet sous vide acheté chez Metro. Nous gardons néanmoins un souvenir ému du Bistrot Paul Bert, rue Paul Bert dans le 11 et de sa blanquette de veau, servie dans une petite cocotte en fonte, les petits oignons, les grosses tranches de carotte, le tout saupoudré de persil. A côté, une portion de riz basmati aux légumes avec des échalotes et des petits dés de carotte. Quand on sait où trouver une telle blanquette, on peut mettre sa grand-mère à l’hospice et se passer de la visite mensuelle à maman.

 

Références

Jean Louis Flandrin, La blanquette de veau. Histoire d’un plat bourgeois, Editions Jean-Paul Rocher, 2002, 90p (sur Amazon / Decitre / PdL)

Vincent La Chapelle, The Modern Cook, Gale Ecco Editions, 2010, 438p (sur Amazon / PdL)

Le Bistrot Paul Bert, 18 rue Paul Bert, 75011 Paris (par ici)