Qui êtes vous vraiment, Hubert ?

Ne vous fiez jamais aux premières impressions ! Le seul moyen de cerner réellement et définitivement cette personne que vous venez de rencontrer est de vous renseigner sur deux points : le nom de celui qui était président de la République au moment où cette personne a poussé son premier braillement, et la liste des films qu’elle considère comme culte. Il y a la génération Pompidou qui ne s’est jamais remise des Tontons Flingueurs, les bébés Giscard qui se sont contentés de la Cité de la Peur. Mais la crème de la crème – les enfants du socialisme à francisque – a elle connu une fête sans égale : Mission Cléopâtre, et surtout Le Caire, nid d’espions.

Notre Raïs à nous

Longtemps, Michel Hazanavicius s’est mu dans l’anonymat des aspirants-réalisateurs. Ses premières oeuvres (“Le Grand Détournement” et “Derrick contre Superman”, diffusés sur Canal+ au début des années 1990) ont pourtant connu un succès d’estime mais pas assez pour se faire un nom. On y trouve déjà les ferments du reste de son travail : une image Technicolor, un brin nostalgique, truffée de références, et un goût immodéré pour la parodie. Suivent néanmoins deux décennies de traversée du désert : quelques piges comme scénariste tout au plus, un navet qu’il réalise en 1999.

Yes, we can

Sa résurrection viendra des frères Altmayer, qui lui confient en 2006 le projet de sa vie : “Le Caire, nid d’espions” – tout premier opus du diptyque OSS117 –  avec lequel il rencontre enfin le succès. Deux millions trois cent mille entrées plus tard, le film est devenu culte. La France tout entière se prend alors d’affection pour le personnage de Lucien Bramard, directeur de la SCEP (Société Cairote d’Élevage de Poulets) débarqué au Caire en 1955 pour enquêter sur la disparition étrange de l’agent OSS 283 . Sous cette couverture, agit Hubert Bonisseur de la Bath, l’agent OSS117 du SDECE – l’ancêtre de la DGSE -, un espion envoyé par la Quatrième République pour pacifier l’Egypte. Caricature du français de l’après-guerre, OSS 117 est naïf, arrogant, raciste, crétin, machiste, inculte, et condescendant. En un mot comme en cent, il est charmant.

 

Un héros pas si français

Il existe plusieurs OSS117, vous connaissez celui d’Hazanavicius, laissez-moi vous présenter l’original : William Leonard Langer. Fils d’immigrés allemands né à Boston, il est diplômé de Harvard en 1915 et s’engage aussitôt pour venir faire la guerre en France. Après l’armistice de Compiègne, il retourne à Harvard, obtient un doctorat en histoire, gravit les échelons de l’université et se retrouve doyen du département d’histoire en 1936. Quand l’Amérique de Roosevelt déclare la guerre à l’Allemagne nazie, William Langer se porte volontaire et rejoint les rangs de l’OSS (Office of Strategic Services), ancêtre de la CIA. Il y dirige le département de Recherche et d’Analyses et ne rechigne à aller sur le terrain. En septembre 1944, lors de la libération de Lyon, il rencontre un jeune résistant auquel il fait forte impression. Jean Bruce a 23 ans et déborde d’admiration pour ces Américains venus délivrer la France. Il enregistre soigneusement le nom de code de son interlocuteur et lorsque, la paix venue et le rationnement aboli, il se lance dans la carrière des lettres, il attribuera au héros de ses romans le titre d’OSS 117.

 

1949 donc, naissance sous la plume de Jean Bruce d’Hubert Bonisseur de la Bath, pendant fictionnel du professeur Langer, l’autre OSS117, citoyen américain issu d’une vieille famille française transplantée en Louisiane. Un agent d’une redoutable efficacité, voué à faire le tour du monde pour protéger le monde libre et repousser la menace communiste. Avec ce héros naît non seulement une série de romans de gare qui ne s’éteindra qu’en 1992 mais aussi un genre : le roman d’espionnage – les premières aventures de James Bond ne paraîtront qu’en 1953. Jean Bruce, lui, se spécialise dans un sous-genre : le roman d’espionnage industriel, déclinaison géopolitique du roman d’amour industriel. Le principe en est simple : écrire à la chaîne, le plus vite possible, des romans à l’intrigue simpliste, qui ne varient que par le décor et les patronymes des protagonistes. Le génie est dans la mécanique du titre : associer la marque “OSS117” à un jeu de mots foireux impliquant une ville d’un pays étranger (La bombe de Bombay, Malaise en Malaisie, Maldonne à Lisbonne, Péril sur le Nil, Cinq gars pour Singapour, Cache cache au Cachemire). Jean Bruce invente le concept, commet 88 opus, meurt dans un accident de voiture, sa femme Josette s’accroche à la rente, elle en pondra 143 avant qu’un imbroglio judiciaire l’opposant aux  enfants Bruce ne la force à poser le stylo. Les héritiers, François et Martine, débarrassés de l’impétrante, essayent sans conviction de produire quelques exemplaires mais très vite, ils renoncent. Au total, 255 romans en 43 ans, soit un exemplaire tous les deux mois pour ces forçats du roman de gare.

Attention, bombe en vue

Nous ne saurions en recommander qu’un, pour le plaisir, ce petit plaisir coupable de lire des merdes, et il s’agit de “OSS 117 voit rouge” (Presses de la Cité, 1961) : une bluette à San Francisco, sur fond de collines embrumés, de plans secrets volés, d’espions chinois et d’un chat birman nommé Samy.

 

Les mille visages d’OSS117

Devant le succès de cette littérature au kilomètre, les propositions d’adaptation furent nombreuses auxquelles le clan Bruce ne sut pas résister. D’abord au théâtre, avec deux pièces écrites par Jean Bruce himself, où le personnage principal fut interprété par Alfred Adam puis Alain Lionel. Puis dans les années 1960, l’agent OSS117 se démultiplie sur le grand écran, faisant de cette série la franchise la plus rentable des années 60. En 1957, “OSS117 n’est pas mort” de Jean Sacha ouvre le bal (pour mémoire, “James Bond contre No” ne sortira qu’en 1962). André Hunebelle, réalisateur entre autres de la Trilogie Fantômas, reprend le flambeau, signe cinq épisodes dont “Banco à Bangkok”, “Furia à Bahia” et “OSS117 se déchaîne” qui sont des succès phénoménaux pour l’époque. Cinq autres films suivront et la franchise s’éteint en 1971 avec un téléfilm produit par l’ORTF. Entre 1957 et 2009, il y aura donc eu 13 films. Parmi les 8 interprètes d’Hubert Bonisseur de la Bath, il y eut principalement des inconnus sans avenir (le suisse Ivan Desny, les américains Kerwin Mathews et John Gavin, le tchèque Frederik Stafford), il y eut aussi Luc Mérenda (célèbre pour son rôle dans la saga Chateauvallon) et Sean Flynn (fils d’Errol Flynn). Il y eut surtout Michel Piccoli dans le Bal des Espions en 1960.

 

Références

Michel Hazanavicius, Le Caire Nid d’espions, 2006, 1h39m (Sur Amazon / iTunes)

Jean Bruce, OSS117 voit rouge, Presses de la Cité, 1956, 192 (sur Amazon)

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