L’anchois est un petit animal fascinant. Il ne se déplace qu’en groupe, en banc pour être tout à fait précis. Si ses écailles dessinent sous l’eau des milliers de jeunes arcs en ciel que les mouvements des courants animent, il ne faut pas en oublier sa fonction première. L’anchois se mange. Il se mange en tout temps et à toute saison. Il peut se fourrer dans l’agneau pascal, se glisser sur votre pizza, se manger sur une belle et grosse tranche de pain sortant du four, s’agrémenter de quelques petites câpres acidulées. Mais sachez qu’en solitaire, il ne sera pas nécessairement un partenaire très heureux pour votre palais. L’anchois, c’est un sport collectif !
L’anchois de Collioure est généralement conservé dans de l’huile ou en saumure (choisissez plutôt cette option). On le trouve en conserve ou en bocal, Carte Noire vous suggère de le goûter à la sortie d’un bocal. C’est plus gras donc meilleur !
Le petit port de Collioure, d’où provient cette gourmande poiscaille, a été peint par Matisse, visité par Picasso et célébré par Dali. Si l’on s’enfonce un peu dans les terres qui entourent le port, on retrouve rapidement, au bord des flancs chatoyants, des cépages de grenache ou de tourbat de Rivesaltes. Cette terre rouge si reconnaissable produit un vin rouge, rosé ou blanc qui sent bon l’été. Des entrailles de ce sous-sol poussent également de nombreux figuiers dont les fruits suintent un sucre rouge qui fait exploser votre diabète rien qu’à sa vue et à son parfum.
Si vous poussez un peu plus vers l’Ouest, vous vous retrouverez à Céret, où l’on mange aussi des anchois. Picasso y a passé quelques étés entre amis ou en famille, entre 1911 et 1913; puis en 1953 avec ses enfants alors qu’il séjournait chez le Comte de Lazerme à Perpignan.
Il y séjournait rarement seul, en famille nous l’avons dit, mais souvent avec des amis. Picasso aimait convier sa bande aux arènes inaugurées en 1922 pour y voir le taureau stéroïdé ployer sous les vivats d’une foule grisée par les coups du matador. Picasso peindra ces duels “tragiques ou comiques” selon la formule de Jean Cocteau dans Le Passé Défini. Il en a fait des assiettes également, nombreuses, dans lesquelles se sont retrouvés à un moment où un autre quelques anchois baignés d’huile d’olive.
Si le poète et critique d’art André Salmon, auteur de La Jeune Peinture Française qui a notamment révélé les Demoiselles d’Avignon, avait appelé Céret la « Mecque du cubisme », Carte Noire n’hésitera pas à vous balancer tout cru dans le gosier que Collioure est « la Jérusalem du fauvisme ».
À l’été 1905, c’est sans doute autour d’une boîte de conserve préservant le précieux petit poisson, que Matisse et Derain ont lancé ce mouvement précurseur du cubisme. Matisse venait tout juste d’abandonner Saint-Tropez pour découvrir l’âpreté des Pyrénées et la chaleur de ses pierres. Il y invite alors son ami Derain qui s’emmerde profondément à Paris (cela peut arriver). Ébloui par la lumière du port, ce dernier produira plusieurs tableaux remarquables : Bateaux à Collioure, Le faubourg de Collioure, etc à Collioure
Au pied du Canigou (la montagne à ne pas confondre avec la pâtée pour chien), coincé entre la France et l’Espagne mais ouvert sur l’océan, cet ensemble de petits villages qui vont de Collioure à Céret en passant par Rivesaltes et Espira de l’Agly qui a ma préférence pour le nom, le vide de ses rues, son fleuve riquiqui sec en été puissant en hiver, dégage une puissance évocatrice merveilleuse. De la création, de l’amitié, quelques nuits étoilées et des fêtes de villages endiablées feront de ces patelins des lieux oniriques où l’art de vivre et l’art tout court feront bon ménage.
Comme les anchois, les artistes s’y sont déplacés en bancs et se retrouvent aujourd’hui exposés ensemble dans le fabuleux musée d’art moderne de Céret. Picasso y côtoie Soutine qui taquine Chagall qui emmerde Pignon qui fatigue Matisse qui révolte Dufy. Y sont exposées des collections alimentées par la générosité des grands maîtres : Picasso fera don d’une série unique de 28 coupelles en céramique sur le thème de la corrida Matisse de 14 dessins réalisés lors de son séjour dans le port de Collioure en 1905.
À l’image des matadors de Piccaso, l’anchois n’a besoin que de peu d’atours pour que l’on puisse apprécier sa beauté. Dali ne disait d’ailleurs rien d’autre quand, provocateur comme à son habitude, il déclarait :
« L’anchois que je mâche participe de quelque façon au feu qui m’éclaire”.
Peut être est-ce d’ailleurs ce goût si particulier de l’anchois saumuré qui a inspiré la peinture à la fois claires et nébuleuses de Raoul Dufy qui a lui aussi passé quelques étés à Collioure.
Si vous passez dans le coin, Carte Noire ne peut que vous conseiller de vous rendre jusqu’à Rivesaltes pour déjeuner ou dîner chez Cazes près du chai familial. La terrasse est belle et l’accueil jovial. On y mange une cuisine qui s’inspire des saisons. Insaisissable et dans l’air du temps elle saura rendre heureuse vos papilles. Poussez le vice jusqu’à acquérir un carton de leur délicieux rosé . C’est au 4 rue Francisco Ferrer.
Bonus : On ne saurait que trop vous recommander le visionnage du Petit Baigneur de Robert Dhéry, un bonbon d’été tourné à Collioure avec Louis de Funès.
Louis et Michel sous acide