Luciano Pavarotti fut le premier artiste dont la mort, en Septembre 2007 – l’année de mes 18 ans, me toucha. Le ténor s’était éteint à Modène, à mi-chemin entre Bologne et Parme, soixante et onze ans après y être né, aux confins de la plaine du Pô, aux pieds des Alpes. A 100 kilomètres au nord, Parme. A 100 kilomètres au sud, Bologne. A 150 kilomètres, de l’autre côté des Appenins, la vallée du Chianti. Cette année là, s’étaient éteints Anna Nicole Smith, Boris Eltsine et Raymond Barre – sale temps pour les gros – sans que cela ne m’atteigne. Je me rappelle très distinctement le JT de 20h, le plateau bleu horizon de France2, David Pujadas très solennel, et ce bandeau rouge “Le ténor du siècle”. Pour la première fois j’étais frappé par le décès d’une personne qui m’était à la fois totalement inconnue et pourtant très familière.
Je ne peux pas dire que j’étais un amateur de musique classique. J’aimais néanmoins cet homme de cet amour irrationnel, dénué de fondement, celui que l’on donne aux artistes. Luciano Pavarotti était régulièrement invité à la table familiale, il aurait pu y avoir son rond de serviette. Pavarotti, c’était les vacances d’hiver, un CD que ma mère affectionnait particulièrement, Noël avec les trois ténors : Pavarotti, Carreras, Domingo. Sur la pochette, Domingo est à gauche, Carreras est assis, et au centre, trônent les 130 kilos du maestro ; dans les enceintes, des incontournables du réveillon : O Tannenbaum, Silent Night, Jingle Bells, Amazing Grace, ce qui plus tard devint le fond de commerce de Mariah Carey – décidément, Noël est la fête des gros. Dans ce décorum, la figure de Pavarotti éclipsait totalement celle de ses comparses et, comme j’aimais Noël, par extension j’aimais le personnage, comme A = B = C donc A aime C.
Il n’y a longtemps eu chez moi que deux grandes figures de la musique classique : Luciano Pavarotti et la Castafiore, c’est vous dire à quel point j’y connaissais peu de chose. La coexistence deux extrémités du spectre dans mon esprit, accentuaient ma confusion et mon incompréhension face à cet art. La cantatrice était moquée et son ridicule me frappait. Ses cassettes de bijoux, sa voix trop aiguë, son regard naïvement hautain… véhiculaient une certaine idée du luxe et de cette haute bourgeoisie qui me paraissaient inaccessibles.
De l’opéra, je ne savais donc rien, je n’en voyais que les escaliers majestueux, les fresques sublimes, les loges feutrées, les fracs aux revers de soie; j’imaginais complots ourdis dans l’ombre les couloirs, des baisers échangés dans le secret des alcôves. Je n’en connaissais que la description des images qui se dessinaient sous les yeux des héros de Stendhal ou de Flaubert.
Cette distance qu’entretenait malgré elle la Castafiore, la bonhomie de Luciano Pavarotti la réduisait à néant. Comme l’ubac et l’adret, ils incarnaient les deux faces de l’opulence : l’une glacée, l’autre chaleureuse. Le versant sud, solaire, celui de Pavarotti me touchait beaucoup plus : je me reconnaissais dans ce sourire généreux, cet embonpoint débonnaire et cette coloration capillaire irréelle.
J’aimais chez lui cette image d’homme heureux. Je me le représentais en Obélix de la musique classique : engloutissant des montagnes de spaghettis alla bolognese, gobant de la mozzarella et accompagnant de chianti des pépites de parmesan grosses comme le poing… Ou alors, un peu plus noble, il s’imposait à moi comme une sorte d’Alexandre Dumas des vocalises. Ces personnages gargantuesques qui allient aux plaisirs de la table un goût pour l’excellence dans la vie et les arts.
Il incarnait une sorte d’idéal : celui du chanteur classique. A ce titre, Placido et José me semblaient moins crédibles en chanteurs d’opéra avec leurs physiques trop raisonnables pour être pris au sérieux. Pavarotti a fixé en moi le mythe du chanteur d’opéra pantagruélique : un homme dont la voix allait puiser sa force au plus profond de sa panse.
« One of the very nicest things about life is the way we must regularly stop whatever it is we are doing and devote our attention to eating ».
Luciano Le Magnifico
C’est cet amour de l’art et de la gastronomie que l’on retrouve dans les confidences qu’il accorde à Peter Ustinov dans un documentaire fascinant. On y découvre un Pavarotti cabot, dans sa villa de Pesaro ville natale de Rossini, feignant de nager tout habillé dans une piscine où il a pied, répondant au téléphone – un portable de la taille d’un dictionnaire – jouant aux boules en chemise à fleurs et mini short. Un Peter Ustinov hagard l’accompagne tout au long de ses pérégrinations et se laisse raconter la vie du ténor.
Le documentaire ici :
(nous ne sommes pas complètement certain de la légalité de ce lien diffusé initialement sur la BBC en 1994)
Il y a plus de dix ans, Luciano Pavarotti s’éteignait, laissant derrière lui une oeuvre digne de son prédécesseur, le Caruso. Elle se distingue en particulier par son désir de toucher le plus grand nombre. Dans ses tournées Pavarotti & Friends, dont l’on retient quantité de duos remarquables, d’invités de marque, Joe Cocker, Bryan Adams, James Brown, Barry White, Céline Dion et j’en passe… , il cherchait, ce “Malraux du bel canto”, à participer de la démocratisation heureuse de l’opéra.
De manière sans doute ingrate, je dirais que c’est au travers de son amour pour la gastronomie que je me suis rendu vers le classique. Aujourd’hui, pour retrouver autant de générosité dans le geste musical mais avec sans doute moins de ventre, je vous conseillerai de regarder vers l’Amérique latine et son génial chef d’orchestre Gustavo Dudamel qui, par son enthousiasme, sa jeunesse, son militantisme nous rappelle que la musique classique est avant tout un fervent cri de liberté qu’il faut savoir faire connaître aux autres. Il y a chez Gustavo Dudamel, ce même enthousiasme pour ouvrir au plus grand nombre un art qui reste malheureusement confiné dans des écrins souvent pour trop intimidants. A travers son initiative Sistema Gustavo Dudamel permet à plus de 500 000 jeunes Vénézueliens de pratiquer la musique classique dans plus de 120 orchestres. Le Pavarotti de demain sera donc certainement du pays de Bolivar. Ça tombe bien nous ne connaissons que trop peu la cuisine de ce pays.
Bonus : la petite recette qui va bien